ADN d'un lieu - détourner la cartographie pour en faire un outil de co-production de la ville (2)
Der reißende Strom wird gewalttätig genannt
Aber das Flußbett, das ihn einengt
Nennt keiner gewalttätig.
Le fleuve emportant tout, on dit qu'il est violent,
Mais nul ne taxe de violence
Les rives qui l'enserrent.
Bertold Brecht, Über die Gewalt, - Sur la violence du pouvoir, poésies 5, 1934-1941
François Nowakowski - Débordements / St Fons - 2014
5 prémisses
1. L’outil cartographique est au service d’une maîtrise technique d’un espace.
Elle est à ce titre utilisée par les professionnels intervenants dans ou sur des espaces, pour y rechercher des données, les croiser, les partager avec d’autres données. Comment peut-elle être aussi utilisée et fabriquée par les profanes ? En quoi les représentations cartographiques s’en trouvent-elles détournées ? En quoi ce détournement peut-il être porteur de sens pour les ‘techniciens’ ?
2. L’outil cartographique est au service d’une vision d’une société, par des pouvoirs.
La carte, c’est l’un des outils utilisé par le pouvoir pour maîtriser son territoire, en lui fixant des limites, des qualités, une cohérence ou des différences… Par son cadrage, sa légende, elle fixe des éléments qui sont pris en compte par ce pouvoir et des éléments qui sont exclus du champ d’intervention de ce pouvoir. Comment la cartographie peut-elle être utilisée par les ‘dominés’ ? Comment peut-elle être détournée pour rendre lisible les interstices du territoire qui échappent aux pouvoirs ? En quoi la cartographie peut-elle être utilisée pour rendre visible les systèmes de contrôle et de domination qui structurent un espace ?
3. L’outil cartographique produit du savoir et permet la compréhension de l’agencement entre des choses dans un espace
Utilisé par les scientifiques, la cartographie est un outil de compréhension d’un territoire, réel ou imaginaire, physique ou mental, envisagé comme un agencement entre des choses mises en réseau ou en co-présence, ou comme une entité délimitée, délimitable par ses caractéristiques propres. Si la fabrication de la carte dénote de la prise en charge de savoirs, compris et appréhendables par une représentation, comment la carte peut-elle servir à représenter l’inconnu, l’imperceptible ou l’infra-réalité ? A fortiori, comment peut-elle être mise au service des incompréhensions, de ce qui est perceptible mais pas appréhendable ?
4. L’outil cartographique fixe en général des objets immobiles, qui ont une certaine pérennité.
Elle fixe des édifices, des infrastructures, une géographie : tout ce qui n’est pas mouvant, suffisamment immobile pour pouvoir être saisi par le cartographe. On peut cependant enregistrer les flux grâce à différents types de capteurs et même les représenter, de manière symbolique. Pour les usages moins convenus, prévisibles, enregistrable par un outil qui s’appuie sur leur répétitivité, la cartographie est plus difficile. Comment fixer, figer, représenter les usages, représentations, vécus d’un espace ? Comment ces représentations permettent t’elles d’intégrer ces usages dans la conception de cet espace ?
5. L’outil cartographique s’appuie sur des conventions et des codes partagés.
L’outil cartographique, en tant qu’outil est produit selon des règles qui lui permettent d’être transmis à d’autres usagers qui en maîtrisent les codes. Ces codes ne sont pas partagés par tous et en tous lieux : ils sont culturels, et reflètent le rapport à l’espace dont nous avons hérité de notre culture, de notre subjectivité, de nos souvenirs. Quels codes de représentation peut-on réinventer pour intégrer cette dimension sensible ? Comment le sensible est-il transmissible, rendu perceptible, par une représentation cartographique ?
Ce texte a été écrit au moment du lancement de l'atelier "ADN d'un lieu", conduit par Chantal Dugave et Itziar Gonzalez Viros au sein de l'ENSAL, avec le soutien de la Villa Gillet, en octobre 2014.
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